J’ai lu pour vous LE HASARD ET LA NECESSITE de Jacques MONOD (1910 – 1976)

Étranges objets. On peut caractériser les êtres vivants par trois propriétés fondamentales :

  • la téléonomie est la propriété d’être doué d’un projet, qui est traduit dans la structure de l’être (ADN) et dans ses performances ;
  •  la morphogenèse autonome ou l’existence d’un déterminisme interne qui fixe les caractéristiques morphologiques des êtres vivants, alors que celles des objets naturels ou des artéfacts sont déterminées par des conditions ou des forces qui leur sont extérieures ;
  • l’invariance qui permet aux êtres vivants de reproduire et transmettre sans variation l’information de leur propre structure.

Entretien avec Jacques MONOD, prix Nobel de physiologie et Médecine 1965. Il définit la biologie moléculaire comme établissant l’unité de toute la biologie : c’est la théorie fondamentale de la biologie. Il parle aussi des conditions dans lesquelles le jeune chercheur doit travailler.Cette transmission constitue le projet téléonomique essentiel que servent tous les autres projets téléonomiques qui se manifestent par des activités ou des performances variant selon les espèces. Le niveau téléonomique d’une espèce est la quantité d’information qui doit être transmise en moyenne d’une génération à l’autre pour assurer la transmission du contenu d’invariance. Ces informations incluent bien sûr celles correspondant aux structures mais aussi celles relatives aux performances et aux activités présentant un lien plus ou moins direct avec la reproduction telles que la capacité de jouer avec ses congénères qui permet l’intégration au groupe ou les rituels amoureux. Pour différentier encore ces deux notions, précisons que chez les mammifères, le contenu d’invariance est comparable alors que le niveau téléonomique est bien plus important chez l’homme que chez la souris.

Contrairement à la première intuition, l’invariance reproductive ne contredit pas le deuxième principe de la thermodynamique : l’animal paye l’ordre engendré par la reproduction invariante par le désordre correspondant à un dégagement de chaleur. Enfin, la téléonomie chez l’homme semble contredire le postulat d’objectivité de la nature, consubstantiel la science moderne, selon lequel on ne peut attribuer à la nature une cause finale ou un projet.

Les théories scientifiques modernes doivent prendre position sur cette contradiction en l’intégrant ou en la niant. Vitalismes et animismes L’évolution darwinienne est la seule théorie compatible avec la physique moderne et faisant de la téléonomie une propriété secondaire par rapport à l’invariance reproductive.

Le raffinement des structures a lieu grâce aux exceptions dues au hasard alors que l’invariance est la règle. Les autres théories, notamment religieuses, partent d’une hypothèse téléonomique à laquelle est subordonnée l’invariance dans un projet d’évolution orientée.

Ces théories, niant le principe d’objectivité, sont divisées en deux catégories : – les théories vitalistes admettant un principe téléonomique n’opérant qu’au sein de la matière vivante, – les théories animistes admettant un principe téléonomique pour l’univers entier conduisant nécessairement aux êtres vivants et à l’homme.

Avec le concept d’élan vital distinct de la matière mais la traversant et l’organisant sans toutefois viser une finalité, Bergson est un représentant du vitalisme métaphysique. Certains vitalistes scientifiques tels que Elsässer et Polanyi sont convaincus de l’existence de propriétés spécifiques aux êtres vivants dans la mesure où les lois de la physique, alors qu’elles s’appliquent parfaitement à la matière, ne suffisent pas à décrire ni à justifier la biosphère.

Toutefois, avec les progrès de la biologie moderne les théories vitalistes ont dû se replier dans le domaine de la conscience où les lacunes actuelles leur permettent encore d’exister. L’animisme consiste dans la projection dans la nature inanimée de la conscience qu’a l’homme du fonctionnement téléonomique de son propre système nerveux. Il établit une alliance réconfortante entre l’homme et la nature. Leibniz, Hegel, Marx et Engels ont défendu un certain animisme sur le plan philosophique. Dans le domaine des sciences Teilhard de Chardin et Spencer s’inscrivent dans le même mouvement.

J’ai lu pour vous LE HASARD ET LA NECESSITE de Jacques MONOD (1910 – 1976)

Sur la foi de l’action d’une « énergie ascendante » ou d’une force mystérieuse, ils placent dans la continuité de l’évolution cosmique, l’apparition de la vie puis de l’homme. De même, certaines interprétations anthropocentriques de la théorie de l’évolution ont fait de l’homme un aboutissement.

Le marxisme a pour sa part inversé la dialectique hégélienne pour l’appliquer au monde matériel dans une perspective animiste : partant du postulat que la pensée est le parfait miroir de l’univers matériel et de sa constante évolution, le fait que la pensé soit dialectique implique que l’évolution de l’univers le soit aussi.

Le postulat du « parfait miroir », réfuté depuis par la neurophysiologie, a également impliqué de déclarer inutile l’épistémologie en tant qu’étude critique de la méthode scientifique alors que la physique moderne la rendait incontournable, notamment depuis l’apparition des théories quantique et de la relativité.

Cette idéologie scientiste qu’est le matérialisme dialectique, principalement destinée à présenter le matérialisme historique comme une « science » fondée sur les lois de la nature, conduisit ses adeptes à réfuter des avancées scientifiques majeures. Ainsi le deuxième principe de la thermodynamique fut jugé contraire aux principes dialectiques en ce qu’il ne permettait pas un éternel retour dans l’univers de cerveaux pensants à l’image de la graine qui après avoir été plantée revient sous forme d’épis. L’évolution darwinienne fondée sur le gène comme invariant fut également rejetée au motif qu’elle contredisait la nature mouvante et changeante de la matière.

Après un tour d’horizon des théories vitalistes ou animistes contredisant le principe d’objectivité, la thèse de l’ouvrage est que les objets peuplant la biosphère sont compatibles avec les principes généraux de la physique auxquels ils ne dérogent pas mais qu’ils ne sont pas déductibles de ces principes, non pas en raison d’une nature particulière mais au même titre qu’un caillou donné ne peut être déduit de ces mêmes principes.

Les démons de Maxwell

Les protéines ont un rôle central dans les performances téléonomiques des êtres vivants pour les trois fonctions essentielles que sont le métabolisme, c’est à dire les réactions chimiques permettant la fabrication des constituants des cellules, le contrôle et la régulation de l’ensemble de cette activité chimique ainsi que la construction de l’organisme. Chaque protéine est constituée de 100 à 10000 radicaux d’acides aminés choisis parmi les 20 existants. On compte néanmoins environ 2500 protéines distinctes chez la bactérie et environ 1000000 chez l’homme.

Dans le métabolisme, les réactions chimiques sont rendues possibles par des protéines appelées enzymes agissant comme catalyseurs sur un substrat. Leur action est due à leurs capacités de discrimination stéréospécifiques c’est à dire à reconnaître de façon précise la forme des molécules avec lesquelles elles doivent réagir. Elles forment avec elles un complexe stéréospécifique par des liaisons non covalentes selon une orientation précise puis activent la réaction chimique avec d’autres molécules.

La formation du complexe stéréospécifique et l’orientation des molécules en son sein peuvent introduire une dissymétrie lors de la réaction chimique conduisant à n’obtenir qu’un des deux isomères qui seraient produits en quantité égale par la même réaction réalisée en laboratoire. Maxwell avait imaginé un démon qui, manœuvrant une trappe au point de communication entre deux enceintes, ne laisserait passer dans un sens que les molécules rapides, à haute énergie, et dans l’autre que les lentes, à faible énergie.

Ainsi, une enceinte se réchaufferait tandis que l’autre se refroidirait. Il a été démontré que contrairement à l’hypothèse de Maxwell qui violait le deuxième principe de la thermodynamique, cette sélection ne pouvait être réalisée sans utilisation d’énergie dans la mesure où elle nécessitait l’acquisition d’informations. Or toute acquisition d’information requiert de l’énergie

Dans le cas des enzymes, l’énergie nécessaire à la discrimination stéréospécifique est issue du potentiel chimique du substrat. Cybernétique microscopique Comme le système nerveux assure la coordination du fonctionnement des organes, il existe un système cybernétique assurant la coordination et la régulation du fonctionnement intra-cellulaire basé sur l’activité d’enzymes dites allostériques qui, à la différence des enzymes classiques, ont la propriété d’être pilotées simultanément par la reconnaissance stéréospécifiques de plusieurs composés différents.

En fonction des concentrations de ces molécules, l’action des enzymes allostériques peut être activée, inhibée, accrue ou abaissée de façon à réguler la formation des métabolites dont elles ont la charge. Ces métabolites sont l’ensemble des corps produits par le métabolisme et comprennent notamment ceux universellement requis pour la croissance et la multiplication des cellules appelées métabolites essentiels.

Cette régulation complexe dépend, souvent de façon simultanée, de la concentration de substances appelées effecteurs allostériques qui peuvent être le substrat initial, c’est à dire les molécules sur lesquelles agit l’enzyme, le métabolite final, des produits de dégradation de ce métabolite ou encore un métabolite produit par un processus parallèle.

Le fonctionnement des systèmes qui régulent non plus le métabolisme et la formation de petites molécules mais la synthèse de macro molécules et des acides nucléiques est encore plus complexe et plus mal connu. Le principe fondamental à retenir est qu’une protéine allostérique permet la régulation de la synthèse d’un corps par des substances n’ayant aucune affinité chimique ni avec ce corps ni avec les molécules du substrat de départ.

Cette propriété est à l’origine de l’impression de l’existence de propriétés spécifiques au domaine du vivant. Une telle approche, qualifiée parfois péjorativement de réductionniste, est la seule qui permette de décrire comment les organismes transcendent les lois de la physique tout en y restant soumis. Ontogenèse moléculaire Les protéines globulaires dont il est question dans l’ouvrage sont dites oligomères car composées de plusieurs, 2, 4, 6, 8 ou 12, structures protéiniques élémentaires appelées protomères.

Elles possèdent en outre des propriétés dont ne sont pas dotés les protomères. L’expression par une structure complexe de propriétés qui ne sont présentes qu’à l’état latent dans ses composants est appelée épigenèse. Ces molécules oligomères peuvent se dissocier dans certaines conditions.

Toutefois, lorsque l’agent dissociant disparait, on constate que les protomères s’associent à nouveau suivant la configuration initiale de façon spontanée. La structure oligomère retrouve alors les propriétés perdues lors de la dissociation. Il existe de nombreux exemples d’épigenèse spontanée : des composants de ribosomes ou de virus bactériophages s’associent par liaison non covalentes pour constituer la structure fonctionnelle dont ils sont les composants.

Le défi actuel (1970) consiste à transposer les conclusions de la morphogenèse microscopique au niveau macroscopique. D’une façon générale, les fonctions catalytiques, régulatrices et épigénétiques des protéines, responsables de leurs capacités cognitives et à l’origine des structures téléonomiques des êtres vivants reposent toutes sur leurs propriétés d’association stéréospécifique.

L’origine de ces propriétés tient dans le fait que les protéines globulaires sont constituées d’une chaine primaire linéaire, dite polypeptidique, de radicaux d’acides aminés reliés par des liaisons covalentes et stabilisée par des liaisons non covalentes reliant entre eux ces mêmes acides aminés.

Un nombre très important de configurations est théoriquement possible pour ces chaines souples. Pourtant, dans les conditions initiales de leur synthèse, elles vont choisir spontanément l’état le plus compact possible correspondant à la plus grande stabilité thermodynamique.

Cette configuration leur confère leurs propriétés fonctionnelles inexistantes à l’état déployé. L’ordre ainsi gagné par ces structures est compensé par l’entropie liée à la libération des molécules d’eau, initialement prisonnières et chassées par les radicaux hydrophobes.

Le déterminisme génétique ne spécifie que la séquence de radicaux d’acides aminés formant les protéines. En revanche, le choix de leur configuration tridimensionnelle parmi toutes les configurations possibles, qui constitue un enrichissement considérable de l’information, n’est pas codé génétiquement. Ce constat a été une source de critiques de la biologie moderne auxquelles les considérations précédentes répondent en montrant que seules les lois de la physique sont à l’oeuvre dans cet enrichissement.

Le développement d’un organisme se décrit sous l’angle de l’activité des protéines par les étapes suivantes :

  • – repli des chaines polypeptidiques,
  • – associations de protéines pour former des organites cellulaires (ribosomes…),
  • – interactions entre cellules pour constituer tissus et organes,
  • – coordination de ces interactions par des protéines allostériques.

A chaque étape apparait spontanément des structures plus complexes dotées de nouvelles propriétés. Il était donc légitime d’espérer percer le secret de la vie par l’étude des fondements de l’enchainement des séquences d’acides aminés dans les chaines polypeptidiques des protéines.

Mais l’observation et les calculs statistiques ont montré que seul le hasard faisait la loi dans le séquencement des acides aminés qui confère pourtant aux protéines leurs fonctionnalités et qui est reproduite fidèlement dans toutes les molécules de chaque protéine.

Autrement dit, connaissant le début d’une séquence, il est impossible d’en déduire la suite. Invariances et perturbation La philosophie recèle deux lignages : celui de Platon décrivant l’univers comme immuable et celui d’Héraclite poursuivi par Hegel et Marx pour qui la réalité réside dans le perpétuel mouvement.

Ces édifices idéologiques servent en fait à justifier des théories éthico-politiques préconçues. Si la science s’interdit de prendre part au débat, elle recherche dans sa démarche des invariants sur lesquels fonder ses théories.

Le développement de la biologie cellulaire mit en évidence dans le deuxième quart du XXe siècle que tous les êtres vivants sont constitués de deux classes de molécules : les protéines, formées par assemblage des vingt acides aminés et les acides nucléiques formés par la polymérisation linéaire de nucléotides.

Leur structure est codée dans les molécules d’ADN formées de deux brins, au moyen de quatre bases ou nucléotides : Adénine (A), Guanine (G), Cytosine (C) et Thymine (T). Lors du processus de division cellulaire, les deux brins se détachent pour former deux nouvelles molécules d’ADN contenues chacune dans une cellule. Puis chaque brin d’ADN manquant se reconstitue dans chaque cellule : A et T d’une part, C et G d’autre part s’assemblent par liaison non covalente stéréospécifiques, en face l’une de l’autre sur chacun des brins d’ADN.

Ce mécanisme permet la copier des informations avec une grande fidélité de cellule en cellule. L’information sur l’ADN est codée en triplets de nucléotides qui correspondent chacun à des acides aminés assemblés au niveau des ribosomes. Il est important de souligner qu’il n’y a aucun lien stéréospécifique ou stérique entre les nucléotides et les acides aminés correspondants. Autrement dit ce code n’est dû qu’au hasard et aurait pu être différent.

En outre, le processus est irréversible et l’écriture sur l’ADN d’une information présente sur une protéine n’est pas envisageable. Toutefois, aussi précis que parait le mécanisme, les entités microscopiques et notamment les éléments assurant la fiabilité de la transmission des informations subissent des perturbations d’ordre quantiques, impossibles à éviter, se traduisant par des erreurs de copies dont l’accumulation au cours de la vie est responsable en partie du vieillissement et de la mort d’un organisme.

Ces erreurs, dont il convient de souligner qu’elles ne sont due qu’au hasard, sont la seule source d’évolution génétiques. Ce fait aujourd’hui certain est difficile à admettre notamment parce qu’il s’oppose à toute forme d’anthropocentrisme. Il convient de définir trois principales notions appelées communément hasard et de préciser la nature de celle à l’œuvre dans ce cas.

Il existe :

  • le « faux » hasard issu de la méconnaissance des conditions initiales que l’on rencontre dans le jeu de dés,
  • le hasard « essentiel » consistant dans la survenue d’un événement à l’intersection de deux chaînes causales indépendantes : une tuile tombe sur la tête d’un passant. La chute de la tuile et la présence du passant ne sont pas liées,
  • le hasard « radical » inhérent à la structure quantique de la matière.

La mutation génétique est liée au deuxième type de hasard dans la mesure ou les effets fonctionnels de la modification de la protéine à partir de l’information altérée sont sans lien avec les raisons de cette altération. Le rôle central du hasard dans l’évolution contredit les théories animistes telles que celle d’Engels qui voyait en elle la révélation d’intentions jusqu’alors inexprimées de la nature.

Elle contredit également Bergson qui voyait dans l’évolution la preuve du principe de la vie. Les propriétés des êtres vivants sont ainsi fondées sur la fidélité de la réplication du code génétique, l’évolution n’étant due qu’à des erreurs dans ce processus. L’évolution Si, à l’échelle de la division cellulaire, les mutations génétiques sont exceptionnelles, à l’échelle d’une population, elles se produisent de façon extrêmement fréquente puisqu’elles représentent à chaque génération le produit de leur probabilité par le nombre d’individus de la population.

Mais parmi toutes ces mutations, seules celles qui ne portent pas atteinte à la cohérence de l’organisme hôte ou qui renforcent cette cohérence sont sélectionnées par l’évolution. Plus généralement, l’évolution est le résultat du deuxième principe de la thermodynamique qui implique une augmentation irréversible de l’entropie dans un système donné mais qui n’exclut pas l’apparition d’ordre au sein d’un sous système s’il ne remet pas en cause le bilan global. Parmi toutes les possibilités de mutations « essayées » au hasard, presque toutes sont restées sans suite mais certaines ont permis une ascension vers des organismes vivants toujours plus complexes.

Cette action due hasard est comparable à la création d’anticorps spécifique à un antigène. On a longtemps cru que ce dernier conditionnait la formation des anticorps. En fait l’organisme produit au hasard et tous azimuts des anticorps différents.

L’antigène ne fait que sélectionner celui qui lui est spécifique et dont la production par l’organisme va croitre. Par ailleurs, il convient d’insister sur le fait que si elle dépend du milieu, la pression de sélection est également conditionnée par le comportement « choisi » par l’organisme après une mutation et notamment par l’invasion d’espaces écologiques nouveaux.

C’est de ce choix initial que dépendra l’évolution de l’espèce. Ainsi, lorsque le premier poisson décida d’explorer la terre ferme en avançant maladroitement apparaissait simultanément une pression de sélection en faveur des membres permettant un déplacement terrestre efficace. De même, lorsque l’ancêtre du cheval décida de vivre en plaine et de fuir plutôt que de combattre ses prédateurs apparaissait une pression de sélection en faveur d’un déplacement rapide.

Le développement exceptionnel du cerveau de l’homme et la taille de sa boîte crânienne par rapport aux autres animaux, notamment aux singes, conduisent à s’interroger sur la pression de sélection qui en est à l’origine et qui a du être forte puisque ces évolutions sont apparues sur une période relativement courte de deux millions d’années.

La spécificité humaine que constitue le langage symbolique, ouvrant la voie à un autre type d’évolution créatrice qu’est la culture est très vraisemblablement à l’origine de cette spécificité anatomique. En effet, le langage conférait aux individus qui en étaient dotés des avantages considérables et son perfectionnement a vraisemblablement permis le développement de l’artisanat et de la chasse au gros gibier nécessitant les actions coordonnées de plusieurs individus.

Les connaissances en matière d’apprentissage du langage chez l’enfant plaident pour l’apparition de structures neurales spécifiques qui en sont le support. Elles réfutent en particulier la thèse d’un langage qui serait une superstructure au profit d’une symbiose entre le langage et les fonctions cognitives.

Ainsi, nos ancêtres qui ont les premiers opté pour une représentation symbolique articulée ont permis, outre l’avènement de la culture, une évolution physique de l’homme vers un système nerveux plus développé.

Les frontières

Les frontières des connaissances de la biologie moderne se situent aux deux extrémités de l’évolution que sont, d’une part, les premiers organismes vivants, d’autre part, le système nerveux central humain. Concernant les origines du vivant, on arrive à comprendre et à obtenir en laboratoire la formation d’acides aminés et de nucléotides ainsi que leur polymérisation dans des conditions qui ont très probablement régné sur la terre dans la soupe primitive.

On peut également entrevoir, sur la base d’expériences, la duplication de macromolécules par association d’éléments complémentaires qui ressemblerait, à un degré de fiabilité moindre, à la duplication des brins d’ADN. Mais le passage par le biais du code génétique, il y a vraisemblablement plus d’un milliard d’années, de ces structures moléculaires à la cellule organisée telle que nous la connaissons, dotée d’une membrane à perméabilité sélective, semble aujourd’hui inconcevable.

La principale difficulté réside dans le fait que le code génétique ne peut être traduit que par des produits de cette traduction. En outre, il n’existe aucun fossile pour guider le chercheur et les organismes primitifs connus ne gardent aucune trace de cette époque lointaine.

Par ailleurs, la conception de la vie comme oeuvre du hasard, non contenue dans les conditions initiales de l’univers et n’ayant qu’une chance infime d’apparaitre ne peut que nous déstabiliser par le renoncement qu’elle implique à toute croyance dans le destin et à tout anthropocentrisme.

« Le destin s’écrit à mesure qu’il s’accomplit, pas avant. »

Concernant le système nerveux central humain, outre le fait que du point de vue logique, il n’existe aucun espoir que notre cerveau comprenne intégralement sa propre structure qui par définition possèdent le même degré de complexité, on est encore loin d’avoir percé à jour les phénomènes de transmission synaptique ou de la mémoire malgré les analogies avec le fonctionnement des composants électroniques des calculateurs.

Les fonctions primordiales du cerveau animal consistent à :

  • assurer la coordination centrale de l’activité neuromotrice à partir des informations sensorielles,
  • mettre en oeuvre des programmes d’action en fonction de stimuli,
  • construire, à partir des informations sensorielles, une représentation du monde adaptée aux performances du sujet,
  • analyser les événements et enrichir les programmes innés avec des expériences vécues,
  • simuler des situations pour imaginer et projeter des programmes d’action.

Les trois premières fonctions, coordinatrices et représentatives, sont communes à tous les animaux.

La quatrième est propre aux invertébrés supérieurs et aux vertébrés, ces derniers étant les seuls à partager la dernière fonction, projective et créatrice d’expérience subjective. Pour assurer les fonctions coordinatrices et représentatives, les animaux sont dotés d’outils physiologiques adaptés alors que les deux dernières fonctions semblent liées à l’apprentissage.

La biologie moderne met fin à la querelle entre inné et acquis en montrant que l’acquisition des éléments par l’expérience se produit suivant un programme inné contenu dans un support physiologique. Pour donner raison aux empiristes, il est vrai que ce programme a été façonné par l’expérience, non d’un individus, mais de nombreuses générations au travers de l’évolution.

Ainsi, les capacités prédictives de l’homme ont été sanctionnés par l’expérience au travers de l’évolution, notamment lorsque la survie du clan en dépendait, ce qui explique leur efficacité. Ces arguments expliquent que les mathématiques et les outils logiques humains puissent décrire la nature avec autant de précision, ce qui suscitait l’émerveillement d’Einstein.

Mais au-delà de ces cinq fonctions, la spécificité de l’homme est son langage qui lui permet de rendre compte de ses expériences et sa pensée dans une forme qui ne périt pas avec lui alors que le langage animal ne véhicule que des éléments d’utilité immédiate telles que des alertes.

Pourtant, et malgré les apparences, le langage ne se confond pas avec la pensée même s’il la suit de près comme l’ont montrés des expériences sur des patients dont le cerveau ne leur permettaient plus de parler.

La séparation apparente entre le corps et l’esprit reste pour nous, comme pour les penseurs du XVIIe siècle, une vérité opérationnelle. Mais pourquoi renoncer à l’illusion dualiste ? Reconnaitre la matérialité de l’âme ne conduit pas obligatoirement à en nier la réalité mais nous fait prendre conscience de notre histoire et de notre complexité.

Le royaume et les ténèbres

Depuis que les hommes se mirent à communiquer sous forme de langage structuré leur permettant d’agir plus efficacement et de façon concertée, l’évolution physique, sous l’effet de la pression de sélection, a suivi de près le développement des idées et de la culture pour lesquelles la physiologie constituait un carcan.

Lorsque les hommes dominèrent leur environnement, la sélection s’exerça lors des luttes intraspécifiques, inconnues chez les autres animaux, d’ou sortirent vainqueurs les groupes humains les plus doués.

Enfin, l’évolution exponentielle de la culture la déconnecta de celle du génome. Il est important de noter qu’encore une fois, c’est le comportement, en l’occurrence l’apparition du langage, qui orienta la pression de sélection qui devait conduire au développement rapide du système nerveux central.

Aujourd’hui, dans les sociétés modernes la sélection n’opère plus aussi efficacement : la médecine permet à des personnes porteuses de déficiences génétiques de vivre assez longtemps pour avoir une descendance elle aussi affectée.

En outre, il existe une corrélation négative entre le quotient intellectuel et le nombre d’enfants des couples risquant de concentrer sur une petite élite les plus forts potentiels.

Ces dangers dont les effets ne se feront pas sentir avant 10 ou 15 générations soit plusieurs siècles ne sont pas les plus pressants. L’homme moderne connait aujourd’hui un profond mal de l’âme lié à l’opposition entre, d’une part, ses conceptions de l’univers et de sa propre condition, ancrées en lui depuis des millénaires et, d’autre part, les découvertes de la science de ses trois derniers siècles fondée sur le postulat que « la nature est objective et que la vérité de la connaissance ne peut avoir d’autre source que la confrontation systématique de la logique et de l’expérience ».

La sélection des idées peut être mise en parallèle avec celle à l’oeuvre dans le monde du vivant. Le processus favorise les idées qui confèrent au groupe cohérence, confiance en soi, efficacité et qui pénètrent facilement les individus notamment en leur apportant des réponses à leurs angoisses liées au sens de leur existence et à leur place dans l’univers.

Durant les millénaires pendant lesquels la survie de l’homme était conditionnée par son appartenance à la tribu, à son obéissance aux lois, à sa croyance aux mythes assurant la force des liens sociaux, il est vraisemblable qu’une évolution génétique se soit produite en faveur de ces comportements.

Le sens de la vie

Cette évolution explique notamment notre besoin d’explication concernant le sens de l’existence, notre inclinaison pour les religions ainsi que les points communs entre les mythes qui les fondent. Ils relatent généralement l’histoire d’un prophète parlant au nom du créateur de l’univers pour indique aux hommes leur place dans le monde et le but de leur vie. Sur le même principe, les grands systèmes philosophiques proposent aux hommes des explications de leur présence dans le monde jusqu’au matérialisme dialectique qui prétend s’appuyer sur les lois immuables.

L’idée de la connaissance objective comme seule source de vérité n’avait pas les attraits des systèmes religieux et philosophiques. Elle ne put s’imposer que par son efficacité matérielle dont les sociétés modernes tirent leur richesse et leur pouvoir. Elle n’a toutefois pas conquis les âmes des individus où règnent toujours les valeurs éthiques traditionnelles.

Chez l’homme moderne, le mal de l’âme est lié à la coexistence contradictoire en son sein, d’une part, de valeurs éthiques issues de l’animisme ancestral et de millénaires de pression de sélection qui lui donnent sa place dans l’univers, d’autre part, de connaissances scientifiques qui le relèguent au rang de produit du hasard et le prive de toutes les valeurs qu’il croyait éternelles.

On peut définir le discours et l’action authentique comme explicitant et distinguant les jugements de connaissance, fondés sur la science, et les jugements de valeur, fondés sur l’éthique, sans pour autant renoncer ni à l’une, ni à l’autre.

En revanche, un discours inauthentique mélange ces deux types de jugements. On peut également noter que le postulat d’objectivité de la nature est un choix éthique, celui qui fonde la connaissance.

Aucune vérité scientifique ne peut être antérieure à ce choix définissant la vérité scientifique. Mais sa nature de choix qui exclut toute prétention d’objectivité, diffère de ceux des cultures animistes par le fait qu’il ne s’impose pas à l’homme mais que c’est lui qui se l’impose dans une volonté d’authenticité de son discours.

La résolution du problème de l’âme humaine tient à la question de savoir si l’éthique de la connaissance pourrait être rendue compatible avec le besoin d’explication de l’homme et son désir de transcendance inhérents à sa nature biologique. Une telle morale devrait être basée sur la connaissance vraie, reconnue comme valeur transcendante et but de la société, affirmant la spécificité de l’homme et le plaçant au carrefour de deux mondes : celui des idées et celui du vivant.

Cette nouvelle morale pourrait parvenir à un socialisme visant à libérer l’homme des mensonges et des contraintes matérielles, contournant l’erreur animiste et notamment le discours profondément inauthentique du marxisme, et apportant une réponse à l’angoisse née de la rupture de son ancienne alliance avec la nature.

J’ai lu pour vous LE HASARD ET LA NECESSITE de Jacques MONOD (1910 – 1976)

ANNEXE 1

Inversion de Marx : « Ma méthode dialectique, non seulement diffère par la base de la méthode hégélienne, mais elle en est même l’exact opposé. Pour Hegel le mouvement de la pensée, qu’il personnifie sous le nom de l’idée, est le démiurge de la réalité, laquelle n’est que la forme phénoménale de l’idée. Pour moi, au contraire, le mouvement de la pensée n’est que la réflexion du mouvement réel, transporté et transposé dans le cerveau de l’homme. » (Karl Marx, Postface de la deuxième édition allemande du Capital.) 2- L’épistémologie, selon la tradition philosophique francophone, est une branche de la philosophie des sciences qui, selon Robert Nadeau « étudie de manière critique la méthode scientifique, les formes logiques et modes d’inférence utilisés en science, de même que les principes, concepts fondamentaux, théories et résultats des diverses sciences, afin de déterminer leur origine logique, leur valeur et leur portée objective » 3- Les protéines fibreuses sont des molécules très allongées qui jouent un rôle principalement mécanique. Les protéines globulaires sont les plus nombreuses et les plus importantes d’un point de vue fonctionnel. Elles sont constituées de la polymérisation d’acides aminés et repliées sur elles-mêmes de façon complexe.



4 commentaires sur “J’ai lu pour vous LE HASARD ET LA NECESSITE de Jacques MONOD (1910 – 1976)

  1. je commente la pub antisémite à coté de l’article sur Jacques Monod. Pub pour le “crepuscule des idéaux” ou l’on parle d’Internationale judéo-bolchévique … Un peu scandaleux de méler ça à la laïcité et au beau travail scientifique de Jacques Monod

    1. Je suis l’auteur du Crépuscule des idéaux : je vois qu’il y a un malentendu puisqu’il s’agit, dans ce bref résumé du livre, du contexte des années 20 et plus précisément du discours de la bourgeoisie allemande et nullement l’avis de l’auteur. Je serais heureux de vous envoyer un exemplaire pour que vous en soyez totalement convaincu.