
L’islam pur des origines est né avec Mohamed, il y a 1500 ans, puis s’est perpétré avec ses quatre successeurs (califes).
La suite est plus compliquée, les branches de l’arbre s’étant multipliées, notamment aux travers des courants sunnites et chiites, chacune revendiquant la légitimité de l’authenticité, des Abbassides aux Ottomans, en passant par les Omeyyades.
Aujourd’hui, il est pluriel et même très divers : des montagnes Afghanes aux plateaux nigériens, des sables du Saël aux plaines du Caucase, des déserts d’Arabie Saoudite aux banlieues parisiennes, prolifèrent des pratiques religieuses très différentes, malgré la lecture d’un livre commun : le Coran.
Depuis la fin des Califats, de nombreux théologiens ont cherché à ramener l’Islam vers son point origine, aux sources de la doctrine proposée par le Prophète. Ces théologiens ont défendu l’islam des « Salafs », c’est-à-dire des « ancêtres » que sont Mohamed et les quatre premiers califes (jusqu’à Ali). Cette volonté de pureté théologique, débarrassée de toutes les innovations postérieures, porte logiquement le nom de Salafisme : l’Islam des ancêtres.
Le plus emblématique de ces théologiens rigoristes fut certainement Mohammed ben Abdelwahhab. Contemporain de Voltaire et de Rousseau, il se navrait de constater la lente déliquescence de l’Empire Ottoman, alors représentant du monde musulman, face à la puissance montante de l’Occident. Pour Abdelwahhab, l’Islam jadis fut fort car il était fidèle à l’enseignement du Prophète (le Coran et les Hadith (la Sunna)). L’embourgeoisement de certaines familles, la constitution d’une classe d’aristocrates sédentarisée, mais aussi l’adoration d’idoles, la superstition, avaient fait du monde musulman, une terre de seconde zone, loin de ses conquêtes fulgurantes du passé. Il prêcha donc pour un retour à une pratique religieuse authentique, celle qui fit jadis la force de l’Islam : le retour au texte et sa lecture littérale, sans interprétation humaine, sans métaphore ou circonvolution !
Il fut le fondateur du mouvement qui porte toujours aujourd’hui son nom : le Wahhabisme que l’ont peut résumer en deux points :
- son objectif est de reconfirmer le principe du monothéisme (l’unicité de Dieu ou Tawhid) ;
- il rejette à ce titre la démocratie et la laïcité, valeur éminemment occidentale, de nature à pervertir la foi musulmane.
L’alliance politique de Abdelwahhab avec un chef local d’Arabie (Mohamed Ben Saoud) eut deux conséquences majeures :
- une diffusion rapide du courant dans la péninsule arabique, devenue aujourd’hui le temple du Wahhabisme ;
- la constitution d’un état fort : l’Arabie saoudite.
Deux courants s’opposent dans le Wahhabisme aujourd’hui, incarnées :
- d’une part, par DAECH (l’État islamique) en Syrie et en Irak, qui prône la lutte armée pour imposer, s’il le faut par la force, les principes de l’Islam des origines : DAESH n’hésite donc pas à faire la guerre à d’autres musulmans qu’ils considèrent pervertis et impies et bien sûr aux mécréants ;
- d’autre part, par l’Arabie saoudite, qui met en avant l’éducation (à la foi) et la piété, rejette le Djihad et revendique une séparation entre le pouvoir spirituel et temporel. L’Arabie saoudite ne rejette pas le prosélytisme, mais l’envisage de manière apaisée, par la seule prédication.
Ces deux affluents d’un même fleuve religieux se considèrent mutuellement comme hérétiques, ce qui explique notamment l‘engament récent de l’Arabie saoudite dans le bombardement de DAESH et la promesse du groupe djihadiste d’éradiquer ces Rois d’Arabie Saoudite à la solde des États-Unis.
Le pacte avec le Diable
Les Saoudiens se maintiennent au pouvoir grâce à un grand écart entre l’Ouest, qui lui garantit leur sécurité en échange de pétrole abondant et le clergé wahhabite qui lui fournit une légitimité, sous réserve que la puissance de l’Etat soit mise au service de leur islam rigoureux ;
Ce double-pacte est forcément fragile et soumis à de fortes contraintes; le Wahhabisme nourrissant une haine féroce contre l’Occident et les Occidentaux ne voyant pas de différence entre ce Wahhabisme et les Djihadistes de l’Etat islamique qui décapitent à tours de bras.
L’Ouest, de son côté, a deux options :
- continuer à s’humilier en dorlotant le royaume en échange de pétrole ;
- risquer, on ne sait trop quoi, en invitant le même royaume au changement radical (en faveur des droits de l’homme ou plutôt de a femme).
La première option est celle qui répond le mieux aux exigences de réalisme de l’Ouest, en considérant qu’il est préférable d’avoir les Saoudiens dans son camp, et avec eux le contrôle des lieux Saints, que dans celui des ennemis : le Royaume en effet, fidèle à sa vision du Wahhabisme, dénonce le djihadisme violent et apporte une certaine stabilité à la région. Par ailleurs, un effondrement de la monarchie saoudienne ouvrirait le champ sur l’inconnu.
En outre, aussi étrange que cela puisse paraître, les Saoudiens se sont souvent montré les plus réformistes d’un monde musulman particulièrement étriqué. Prudemment, le roi Abdallah a laissé plus de place aux femmes dans la vie publique, a encouragé l’éducation des jeunes saoudiens, notamment dans des universités occidentales. Il a cherché à convaincre les dirigeants du monde arabe à proposé , en 2002, un pacte de paix avec Israël. Si les saoudiens venait à être balayés par le vent de l’histoire, leurs remplaçants ne brilleraient certainement pas du feu de la démocratie ou de l’émancipation de la femme.
Mais ce réalisme ne semple pas réaliste : le principal risque pour les Saoudiens est lié à la lenteur des réformes et il se pourrait qu’ils soient ainsi débordés. Le Wahhabisme qu’il nourrisse met en danger le monde extérieur mais également leur dynastie : il soutient l’idéologie djihadiste, encourage le sectarisme et met la Monarchie devant ses cruelles contradictions.
Aujourd’hui la puissance de l’Etat rentier est déclinante : le prix du baril chute générant du chômage pour les jeunes. La stricte obéissance au clergé semble également se fissurer parmi les jeunes générations, les femmes commençant à travailler et les réseaux sociaux organisant un espace de liberté difficilement contrôlable. Pour gouverner ce pays en pleine évolution, les Saoudiens doivent accepter du pluralisme, à la fois dans le domaine politique et religieux. Et ils ont besoin, pour cela, d’un petit coup de p… mains.
Aussi les Occidentaux devrait-il maintenir leur soutien, tout en le conditionnant à des avancées, en particulier sur le terrain de la justice, gangrenée par les religieux et, en conséquence, intolérante.
Monsieur OBAMA devrait emprunter le même chemin qu’il a emprunté en Chine et en Russie en mettant à l’ordre du jour de ses rencontres avec le nouveau roi Salman les droits de l’homme, le respect de minorités et la place de la femme qui aujourd’hui encore n’a pas le droit de conduire.
Après tout, entre amis, on peut se parler franchement…
L’Arabie Saoudite en péril
Le chiisme menaçant
C’est de l’extérieur du pays que les périls se font les plus menaçants : le Royaume sunnite voit avec inquiétude l’expansion du chiisme à ses frontières :
- en Iran, tout d’abord, où le grand rival du moyen-orient cherche à se doter de l’arme nucléaire ; inacceptable pour les Saoudiens qui sur ce point rejoignent la position occidentale ;
- en Irak, où le gouvernement installé par les Américains après la seconde guerre d’Irak bénéficie de l’appui peu discret contre l’Etat islamique ;
- au Yémen, depuis quelques jours, où les rebelles chiites viennent de renverser me gouvernement en place.
Un sunnisme déconcertant
En outre, sa version pieuse mais non-violente de l’Islam sunnite-Wahhabiste est incompatible avec l’Islam sunnite conquérant dont se revendique les frères musulmans d’Egypte, le Hamas de la bande de Gaza, l’Etat Islamique ou Al-Qaïda. A cet égard, des membres de la famille royale furent l’objet d’attentats à la bombe en 2000, tous revendiqués par Al-Qaïda. Le Prince Muhammad se chargea alors de chasser le groupe terroriste hors des frontières du royaume.
La chute du prix du baril
Les revenus pétroliers représentent toujours 80% du budget du Royaume. Ils lui permettent de financer un système de santé et d’éducation généreux et de subventionner de nombreux emplois aidés pour les 30 millions de sujets. Ces revenus ont bien entendu baissé, mais les réserves de cash sont pharaoniques : on parle de plus de 700 milliards de dollars de réserve ! Il y a suffisamment de devises pour nourrir tous les princes et les membres du Clergé encore de longues années. D’ailleurs, cette chute du prix du baril est orchestrée par les Saoudiens qui y voient un double intérêt :
- affaiblir le rival iranien déjà durement touché par les sanctions internationales ;
- torpiller les projets d’extraction de gaz de schiste aux Etats-Unis, qui sont devenus récemment un sérieux concurrent sur le marché du brut.
Bref, la Monarchie n’a aucun intérêt à mettre ses pompes en sommeil.
Un seul bémol à ce tableau : L’Arabie saoudite risque, dès 2030, de se trouver à court de pétrole.
Un royaume plus libéral ?
Nous sommes dans une pure monarchie où, lorsque le roi meurt, son frère ou son fils devient mécaniquement Roi. L’idée d’une consultation du peuple n’est pas même effleurée. Ainsi Salman est le demi-frère du Roi défunt et sa première décision politique fut de nommer son successeur : Muhammad ben Nayef, son neveu, actuel ministre de l’intérieur.
Il semble que la population soit très conservative. Peu de Saoudiens contestent la légitimité de la famille royale. Avant la création du royaume, en 1932, le pays était sujet à d’incessante guerre tribales, les épidémies étaient fréquentes et l’espérance de vie très faible. Ibn Saoud parvint à tirer un trait sur cette époque troublée en imposant ses règles, par la guerre et des mariages astucieux. La stabilité et de la sécurité offerts par le régime lui ont permis de dévier les vents du printemps arabe qui ont soufflé vers d’autres cieux.
La population est plus revendicatrice lorsqu’il s’agit de réformes sociales : mais attention, le terme est à prendre ici avec précautions. La classe moyenne, par exemple, estime que la famille royale est trop libérale.
Sur ce sujet aussi, le danger vient de l’extérieur ; des réseaux sociaux dont la population jeune est particulièrement friande ; des nombreux étudiants partis à l’étranger et qui en ramènent des idées libérales.
Salman, dit-on, serait moins libéral que son prédécesseur… Pourra-t-il résister longtemps aux vents venus de cet Occident dont il a tant besoin ?
3 commentaires sur “L’Arabie saoudite et le Wahhabisme”
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