
2017… Londres et Paris ne récoltent-ils pas en Irak et en Syrie les fruits qu’ils ont semés en 1916 ? Pourquoi cette question ? En 1916, la France et l’Angleterre avaient les yeux tournés ailleurs : vers l’est, vers l’Allemagne de Bismarck et de Guillaume II (le Kaiser) qui menaçait, à chaque instant, de rompre leurs dernières lignes garnies de tranchées et hérissées de barbelés. Quel rapport avec le Moyen-Orient ? Cette région du monde, à l’époque, était sans doute le cadet de leurs soucis. Et pourtant…
1916. Dans les salons cossus de bâtiments officiels londoniens, un bataillon de mystérieux diplomates s’agite. Un Lord britannique, Marc SIKES, et un diplomate français, Georges-François PICOT, se rencontrent en secret. L’ancienne puissance du Moyen-Orient, l’empire ottoman ne survivra pas à la guerre et ils le savent. Il faut donc préparer l’avenir, redessiner le Moyen-Orient et, si possible, au profit de leur pays respectif ; des profits que Sykes et Picot espèrent pétroliers, la région regorgeant d’or noir, carburant essentiel à toute puissance moderne.

A grands coups de règles, Sykes et Picot tracent sur des cartes d’état-major des lignes qui donnent naissance à des États de papier : des États artificiels, qui ne répondent à aucune logique, qui ignorent les peuples, l’histoire et la géographie. Sykes et Picot ne le savent pas encore, mais ils programment, avec leurs crayons, les prochains conflits du moyen-orient et notamment l’émergence, 100 ans plus tard, de DAECH.
Les accords secrets de SYKES-PICOT (1916)
Sur les décombres de l’empire OTTOMAN
1916 marque le début de la fin pour l’Empire OTTOMAN, la puissance qui, depuis le XVIème siècle, contrôlait le Moyen-Orient ; l’empire OTTOMAN avait eu son heure de gloire.
Fondé par OSMAN, un chef de tribu turc qui avait écrasé les Byzantins près de Nicée (dans l’actuelle Turquie), il connu son apogée avec Soliman, dit ” le Magnifique”(1529), qui arriva jusqu’aux portes de Vienne (le croissant sur les étendards ottomans donnèrent d’ailleurs aux Viennois l’idée pour une pâtisserie). Les Ottomans mirent fin à la dynastie sunnite des Abbassides, reprenant à leur compte le Califat (la succession du prophète), stabilisant la région pour quatre siècles. Toutefois, cette domination ottomane était mal vécue par les tribus arabes.

En 1914, l’empire OTTOMAN choisit le mauvais camps : celui des Empires Centraux (l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie). De 1914 à 1916, les Britanniques jouèrent alors les Arabes (d’Arabie saoudite) contre les Ottomans, pour affaiblir, par ricochet, l’Allemagne et l’Autriche.
Pour les cinéphiles, on reverra avec plaisir le Lawrence d’Arabie (de David LEAN avec Peter O’TOOLE dans le rôle-titre et Omar SHARIF).
Les Anglais tirèrent les premiers
Les Anglais envoyèrent sur place un officier polyglotte (qui parlait notamment l’arabe) : Sir Lawrence, avec pour mission de fédérer les tribus arabes, alors sous l’autorité de Hussein ibn Ali (1856-1931), le gardien des Lieux Saints (La Mecque).
Lawrence, sincère dans ses propos, promit à HUSSEIN une large autonomie, pour ne pas dire une réelle indépendance vis-à-vis des Ottomans. Il ignorait ce qui se tramait alors entre Londres et Paris. Bien entendu, la promesse de Lawrence ne fut que “chiffon de papier”, selon ses propres dires. Les Britanniques et les Français avaient déjà découpé le Moyen-Orient à leur avantage.
Les Français
La France, de son côté, souhaitait étendre sa zone d’influence, déjà établie largement au Maghreb. Pourquoi pas en établissant au Liban et en Syrie un protectorat francophone (et phile) ? Pour la France, dès le départ, il ne fut jamais question d’associer les Arabes de Faiçal (le fils de Hussein qui deviendra roi d’Irak en 1921) aux négociations. Ce dernier, pourtant, avait libéré DAMAS (au grand bénéfice des Alliés) et s’était fait roi de Syrie. Pour les Français, la Syrie ne pouvait être, à terme, qu’une colonie française : la France n’était-elle pas l’héritière du royaume Franc de Syrie, construit pendant les Croisades autour de Saint-Jean-d’Acre ?
Le accords de SYKES-PICOT en quelques lignes
Bref, il y avait moyen de s’entendre (pour une fois) entre Anglais et Français, d’autant plus que l’ennemi commun (l’Allemagne), en 1916, était encore loin d’être à genoux. Les accords franco-britanniques portèrent le nom de leurs deux principaux artisans : SYKES et PICOT :
- Pour les Français, le Liban, la Syrie, une partie de la Mésopotamie (l’Irak actuelle, et plus précisément la région de Mossoul ou Mosul riche en pétrole).
- Pour les Anglais, le sud de la Mésopotamie et la Cisjordanie (au delà du Jourdain) qui deviendra à terme la Jordanie.
La Palestine
Elle devint une zone neutre, sous administration internationale. Mais les Anglais et les Français promirent aux Juifs la création, à terme, d’un état national en Palestine ; État dont les contours n’étaient pas encore à ce stade clairement définis et qui ne vit le jour que bien plus tard (1948). En attendant, l’administration fut assurée par les Anglais, soucieux de contrôler la rive est du canal de Suez, stratégique pour pérenniser la route des Indes.
Lawrence d’Arabie s’illustra encore en révélant au chef Arabe (FEYCAL) la teneur des accords secrets qui donnaient à la France la tutelle d’une partie des territoires qu’il convoitait (notamment en Syrie et en Irak).
Les accords de SYKES-PICOT
1918 – L’Allemagne (et l’empire OTTOMAN) sont vaincus
Le découpage initial fut modifié : la Mésopotamie, riche en pétrole, fut finalement entièrement rattachée à la zone Britannique. La frontière entre la Syrie et l’Irak vit le jour… Frontière que conteste aujourd’hui l’État islamique.
1920 – La conférence de San REMO et le traité de Sèvres
Les accords de Sykes-Picot sont (avec quelques modifications) entérinés :
Le mandat français sur la Syrie et le Liban et les Assad
Le mandat français sur la Syrie sera notamment à l’origine, en 1947, de la création du parti BAAS (BAAS signifie “renaissance” (sous-entendu de l’empire OTTOMAN)), qui s’opposera par nationalisme au protectorat occidental. Hafez el-ASSAD (le père de Bachar qui régna en dictateur sur la Syrie) est issu de ses rangs.
Le Liban connaîtra une violente guerre civile entre 1975 et 1990 : les Maronites (les plus anciens chrétiens du Moyen-Orient) défendant le lien privilégié avec la France, les autres factions (Druzes, Chiites, Sunnites) cherchant l’indépendance. Michel AOUN, qui en 1989 dirigea les forces chrétiennes maronites, demanda et obtint l’intervention de la France dans le conflit qui l’opposait à la Syrie de Hafez el-Assad.
Le mandat britannique sur l’Irak et la Palestine et Hussein
De même, le mandat britannique donnera naissance à la banche irakienne du parti BAAS et notamment à la dictature de Sadam HUSSEIN (1973-2003).
Les autres points de la conférence de San Remo
- la confirmation d’une république d’Arménie indépendante ;
- la dissolution de l’Empire OTTOMAN, (qui se réduira à la Turquie), ce qui provoquera le soulèvement nationaliste turc de Mustapha KEMAL et à la négociation d’un nouveau traité en 1923 (Lausanne), bien plus avantageux, qui donnera aux Turcs les moyens d’entreprendre le génocide arménien ;
- la création d’une région Kurde autonome.
La région autonome kurde ne verra jamais le jour. Le traité de Lausanne (1923) annulera cette disposition et donnera le top départ au soulèvement Kurde contre la Turquie, l’Irak, l’Iran et la Syrie ; soulèvement qui continue encore aujourd’hui.
Les Kurdes d’Irak seront notamment gazés par Sadam HUSSEIN en 2007.
Les conséquences des découpages messieurs SYKES et PICOT sont multiples (pour n’utiliser qu’un qualificatif technique)… DAECH est un très lointain descendant des accords de Sykes-Picot.
2014 – les conséquences de SYKES-PICOT
La frontière entre la Syrie et l’Irak (dont ne voulait pas Feyçal) est contestée aujourd’hui par l’État islamique (DAECH).

L’un des objectifs majeurs de l’État islamique (DAECH) est de reconstituer le Califat sunnite, par dessus les frontières dessinées en 1916. C’est d’ailleurs à MOSOUL que DAECH a établi son quartier général : l’organisation a clairement affiché son intention de déchirer les accords de SYKES-PICOT.
L’éternel conflit du Moyen-Orient (de la Palestine à l’Iran, en passant par la Syrie et l’Irak) est une conséquence directe du désordre qui a suivi l’effondrement de l’Empire OTTOMAN et du redécoupage franco-britannique. Les occidentaux, en dessinant à leur profit des frontières artificielles, ont méprisé les peuples, jetés de part et d’autre de lignes de partage de zones d’influence.
Ils récoltent aujourd’hui les fruits des accords secrets de SYKES-PICOT.
La seconde guerre mondiale était écrite dans le traité de Versailles de 1919. Les conflits du moyen-orient, dans les accords de Sykes-Picot.
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31 commentaires sur “Les accords de SYKES-PICOT : Paris et Londres responsables du bazar au moyen-orient ?”
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