
Montmartre, 1935. Derrière les vitres embuées du Sans-souci, une femme élégante enveloppée dans un manteau de zibeline court sous la pluie. Sa chevelure rousse, trempée par la pluie, tombe comme une fontaine d’or sur ses épaules élégantes. Elle disparait dans la nuit parisienne. Le lendemain, au même endroit, derrière les mêmes vitres embuées du Sans-Souci, la même silhouette élégante se presse sur le trottoir, faisant claquer ses talons aiguisés sur l’asphalte. Qui est-elle ? Où va-t-elle ? Je ne la connais pas et pourtant déjà elle me fascine.
Elle est montée au troisième étage d’un immeuble cossu. Je monte à mon tour et frappe à la porte. Ce sont les yeux d’un enfant qui surgissent de l’obscurité. Il s’appelle Max. Il est infirme. Il me présente la passante du Sans-souci. Elle s’appelle Elsa. Elle est allemande. Son mari Michel est resté en Allemagne. Il est prisonnier des Nazis. Max est juif et il a été torturé ce qui explique ses infirmités. Elsa aime profondément son mari. Pour l’instant, elle s’en sort en chantant dans un cabaret. Car il lui faut de l’argent, pour Max, pour elle, mais aussi pour Michel, pour le faire sortir du camp où il est interné… Elle l’aime de tout son âme, de tout son corps dans un échange épistolaire déchirant.
Un effroi sans nom déformait ce tremblant murmure. Une terreur qui confinait à la panique écartelait le beau visage.
– Mais quel crime inexpiable avez vous donc commis envers Hitler ? demandai-je, en plaisantant.
– Moi aucun, mais ils ont arrêté mon mari, dès leur arrivée au pouvoir. Si je ne m’étais pas enfuie, ils me jetaient en prison comme complice.
– de quoi donc ? La passante du Sans-souci – Joseph KESSEL.
Mais le cabaret ferme et Elsa perd son emploi. Je suis son ami et fais de mon mieux pour l’aider, même si mon métier de journaliste me prend beaucoup de temps. J’assiste alors impuissant à une véritable descente aux enfers : Elsa toujours en quête d’argent accepte l’inacceptable pour continuer à espérer… Elle s’enfonce toujours plus profond dans les noirceurs de la nuit, dans des endroits sordides, dans la prostitution, l’alcool et la drogue, aveuglée par un amour qui n’existe malheureusement que dans ses lettres.

C’est l’histoire d’un sacrifice total, de la descente aux enfers d’une femme prête à tout par amour, jusqu’à perdre sa dignité, son corps, son être…
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