J’ai lu pour vous Luc Ferry et la passion de la peur chez les écologistes

Même s’il ne remet pas en cause le constat (le changement climatique est un problème majeur qu’il convient de prendre au sérieux), Luc FERRY condamne chez les écologistes “la passion de la peur” qui paralyse toute réflexion et toute innovation. Il leur reproche de s’être éloigné de l’esprit des Lumières, c’est-à-dire de rejeter systématiquement la contradiction et de préférer l’idéologie politique. Chez les écologistes, l’esprit critique est souvent en panne et l’effet tunnel s’est installé ; ce phénomène qui consiste à écarter (volontairement ou pas) tous les faits qui contredisent une certitude pour ne retenir que ceux qui l’alimente. Ainsi, s’ils ont décidé que le nuage de Tchernobyl a augmenté le nombre de cancers de la thyroïde en France, il est inutile de leur mettre sous les yeux le rapport de l’INVS (Institut de Veille Sanitaire) qui dit le contraire. Résultat, le débat n’est plus possible. Osez remettre en cause une idée reçue (le nucléaire est un atout dans la lutte contre le changement climatique) et vous serez inscrit dans la colonne des gens du mal ou vous serez accusé d’être manipulé par les lobbys. Il y a leur vérité et partout ailleurs le mensonge qui rode. Et la vérité (La Pravda en Russe) ne se discute pas. Impossible donc de débattre. Lorsque l’idéologie est plus forte que les faits et l’esprit des Lumières n’est plus qu’un lointain souvenir.

Pourtant, cette peur alimentée à outrance est souvent contre-productive. Elle nous envoie en permanence des perspectives de fin du monde, des scénarios catastrophes qui deviennent, à force d’être assénés à coups de marteaux, banalisés. Résultat, on n’écoute plus.

Le grand prête de la passion de la peur est Hans JONAS, philosophe allemand, connu pour être le fondateur du principe de précaution aujourd’hui gravé dans notre constitution. Ce principe veut que, si on a le moindre doute (sur l’avenir de l’humanité), on ne fait pas. Avec un tel principe, nous n’aurions jamais inventé les antibiotiques, la télévision et même l’automobile (qui tue pas mal de gens chaque année).

Luc FERRY plaide pour un retour du débat serein. Il fait confiance en l’homme, en sa capacité d’innovation. Il déconstruit l’idée selon laquelle “c’était mieux avant”. Non ! On mourait de diphtérie, on était en guerre avec nos voisins, le taux de pauvreté était bien plus élevé, les femmes n’avaient pas accès à l’éducation, ni au vote, les homosexuels étaient conspués, les rats pullulaient dans les villes, les enfants travaillaient, quatre foyers sur cinq n’avaient pas de chauffage, ni d’accès à des produits frais ou l’eau courante…

Frankenstein et les OGM

Dans Frankenstein, l’homme, en l’occurrence un savant fou, se prend pour un Dieu en créant la vie à partir de cadavres. Il pèche par hybris, comme le disaient les Grecs (dans le mythe de Sisyphe par exemple). L’homme doit se cantonner à son rôle de pauvre créature : il peut transmettre la vie, mais pas la créer car c’est un apanage des Dieux et uniquement des Dieux. Lorsqu’il sort de son pré carré, l’homme est puni : dans le mythe de Sisyphe, il est condamné à pousser une pierre pour l’éternité. Le docteur Frankenstein voit sa créature lui échapper et semer la terreur. Ce paradigme a été recyclé à l’envie dans la tradition chrétienne : d’où l’opposition à la PMA : l’homme ne doit pas créer la vie.

Les écologistes ont eux-aussi adhéré à cette thèse : tout ce qui est naturel est, par essence, bon (car produit de la nature). Tout ce qui a été modifié par la main de l’homme est par définition mauvais. Mieux vaut ainsi manger une amanite phalloïde plutôt qu’un OGM. Pourtant, aucune étude n’a jamais démontré le risque que les OGM pouvaient présenter pour la santé (à part la fausse étude SERALINI). Mais peu importe. Exposer des faits, montrer des études ne sert à rrien lorsque l’idéologie est ainsi ancrée dans les esprits.

Dans la littérature consacrée depuis une bonne trentaine d’années aux OGM, la figure de Frankenstein revient comme un passage obligé, pour ne pas dire comme un pont aux ânes. Le mythe de Frankenstein est en effet beaucoup plus profond qu’on ne le croit d’ordinaire.

Il ne s’agit pas à l’origine d’un récit de science-fiction, mais d’un mythe théologique d’une grande portée, une légende qui visait à stigmatiser l’«hybris» (l’orgueil et la démesure) de l’homme qui se prend pour Dieu. Frankenstein fabrique un monstre avec les cadavres qu’il a volés dans une morgue et il parvient à lui donner vie grâce à l’électricité du ciel. Or, donner la vie est le monopole du divin. Il est donc puni : sa créature lui échappe, elle échappe à son créateur comme dans le mythe voisin de l’apprenti sorcier. Nous avons affaire ici à des mythes de la dépossession, le créateur étant dépossédé de sa créature. On comprend pourquoi l’écologie fondamentaliste, dont le fonds de commerce est d’abord d’affoler les foules, a appliqué ces mythes aux OGM à défaut de démontrer leur dangerosité. Plutôt que d’aller aux faits, une certaine presse a emboîté le pas, jouant à son tour sur les peurs qui sous-tendent le prétendu «principe de précaution», le sensationnel faisant hélas vendre souvent plus de papier que la vérité. Luc FERRY

Comment une telle fake news a-t-elle pu ainsi percoler ? par Luc FERRY

Un premier élément de réponse tient au poids des photos publiées, notamment par Le Nouvel Observateur. Elles étaient terrifiantes et montraient de malheureux rats déformés par d’atroces cancers tandis que les textes qui les accompagnaient donnaient 100 % raison à Séralini. Ensuite, toujours selon Le Figaro, certains journaux avaient accepté de se laisser museler : Séralini, pour éviter tout contradicteur, avait fait signer aux journalistes qui voulaient avoir accès à son enquête en primeur un «accord de confidentialité dans lequel ils promettaient de ne pas soumettre ces travaux à des experts indépendants, les journalistes étant alors dans l’incapacité de faire correctement leur travail puisqu’ils ne pouvaient pas interroger d’autres toxicologues». Luc FERRY

Une condition proprement hallucinante et liberticide que Le Monde, Le Nouvel Observateur et l’AFP auraient pourtant acceptée (ce qui est assez comique quand on pense qu’ils se prévalent aujourd’hui de la mission de «décoder» les fake news). Le Nouvel Obs, organe de la gauche intellectuelle, choisit curieusement le sensationnel et le fondamentalisme vert contre la raison et la science véritable en titrant sans barguigner à la une : «Oui, les OGM sont des poisons!», titre d’autant plus stupide qu’il existe des centaines de variétés d’OGM et que même si celle que Séralini avait donnée à ses rats était nuisible (ce dont nous savons aujourd’hui qu’il n’en est rien), cela n’impliquait nullement les autres. Luc FERRY