
Suis-je responsable de ce que je suis ? Un peu de philo…
Le jugement des autres est une constante dans nos sociétés. Ceux qui ne répondent pas aux codes du moment, aux normes édictées par les faiseurs de mode, sont souvent mis à l’écart, voire persécutés pour leurs différences. Pourtant, notre comportement, nos habitudes, notre être, sont, en grande partie, les héritiers d’une histoire passée, d’une éducation, de gènes transmis pas nos parents, qui nous sont donnés à la naissance et sur lesquels nous n’avons que peu de prise.
Aussi la question suivante est-elle légitime : suis-je responsable de ce que je suis ? Etre responsable, c’est assumer les conséquences de ses actes, de son identité. Ce que je suis relève d’un ensemble de caractéristiques, d’aspects moraux, physiques ou encore sociaux, innés ou acquis, qui me décrivent en tant qu’individu. Mais dans quelle mesure suis-je libre de choisir ce que je veux être ? Tout ce qui constitue mon être dépend-il de moi? Et donc, peut-on me reprocher d’être ce que je suis ?
Nous verrons, dans un premier temps, en quoi l’individu est responsable de son identité. Dans un deuxième temps, nous verrons en quoi il convient de relativiser cette thèse, avant de constater, dans une dernière partie, que l’individu est un être complexe, subissant sa nature, mais également libre de la modifier par la culture et les actes.
L’individu est responsable de ce qu’il est
C’est aussi la thèse défendue par l’auteur existentialiste Albert Camus, dans “l’Étranger”. Dans son oeuvre, le personnage principal, Meursault, dans un premier temps “étranger à sa propre vie”, semble ensuite faire le choix libre de devenir meurtrier, en appuyant quatre fois de suite sur la gâchette. Meursault écarte, lors de son procès, les thèses défendues par ses avocats cherchant à le disculper en le présentant comme “irresponsable”. Pour lui, il n’y a aucune ambiguïté : son acte fut libre et réfléchi et il en porte l’entière responsabilité. Il accepte donc la justice des hommes, même si cette dernière l’emmène jusqu’à la condamnation à mort. L’Histoire de Meursault est l’illustration parfaite de la philosophie existentialiste qui veut que tout être soit responsable de ses actes et doive en assumer les conséquences.
L’homme est sur Terre le seul être doté d’une conscience réfléchie. C’est-à-dire qu’il est à même d’observer ses propres actes et de de les analyser a posteriori. Cette faculté lui permet d’être son propre juge et lui donne la possibilité de modifier son comportement au fil de ses expériences. Selon Descartes, la conscience réfléchie donne la capacité de faire ou de ne pas faire. Il rejoint donc les thèses chrétiennes sur le libre-arbitre : notion omniprésente dans les écrits des auteurs chrétiens comme saint Augustin. Elle a été introduite par ces auteurs pour expliquer la présence du Mal sur terre : comment en effet Dieu, un Être entièrement bon, avait-il pu créer l’homme à son image, une créature capable d’actes cruels ? Doter l’homme du libre-arbitre, permettait de résoudre ce paradoxe. Dieu avait bien créé l’homme, mais il lui avait ensuite laissé le libre choix de ses actes, y compris de faire le mal. Par ailleurs, cela permettait à l’Eglise chrétienne naissante de disposer du pouvoir sur ses fidèles en ayant cette possibilité de juger les “pécheurs” en leur promettant, en cas de mauvaises conduites, l’Enfer.
Ainsi, à partir des analyses de Descartes et des auteurs chrétiens, il peut être avancé, dans un premier temps, que l’individu est bien responsable de ses ses actes et de son identité et qu’il doive en assumer les conséquences.
Mais est-il aussi évident que nous soyons entièrement responsables de notre identité ?
L’individu n’est pas intégralement responsable de ce qu’il est
Il peut être opposé aux précédents auteurs que l’individu ne peut être tenu responsable de sa constitution, manifestement héritée de ses parents. Prenons l’exemple du physique : en quoi est-il responsable d’une infirmité, tel qu’un membre manquant. De manière évidente, l’individu ne choisit pas son sexe qui détermine pourtant en partie son comportement. On peut même aller plus loin en rappelant que l’individu ne fait même pas le choix de naître. Spinoza, dans l’Ethique, décrivait un homme entièrement déterminé. Aujourd’hui, les avancées en génétique nous montrent que les caractéristiques physiques ou mentales sont inscrites dans nos gènes hérités de nos ancêtres.
Coluche disait que “ Les hommes naissent libres et égaux, mais que c’est après que ça se gâte””. En effet, le déterminisme social de l’individu, c’est-à-dire son environnement socio-culturel, influence son comportement. Ainsi Marx disait “Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur être ; c’est inversement leur être social qui détermine leur conscience”.
Au-delà de ce déterminisme, nos sociétés, pleines de préjugés, conduisent à établir des stéréotypes, des normes sociales qui conduisent à des jugements de valeur sur l’individu. Par exemple, une femme chef d’entreprise est immanquablement l’objet de rumeurs car elle n’est pas a priori à sa place : dans l’inconscient collectif, la femme est associée à l’image de la mère et doit donc se cantonner à la maternité. Son statut de chef d’entreprise, incompatible avec cette norme sociale, l’expose au jugement péjoratif des autres qui lui construisent une identité. Sartres disait ainsi à juste titre que l’enfer, c’est les autres”.
Je ne suis pas maître de moi-même, je ne suis pas responsable de mes actes
L’individu subit donc un héritage génétique, mais également la pression de son environnement social et culturel. Mais ce n’est pas tout. Freud disait “Le moi n’est pas maître dans sa propre maison”. Il a montré que le moi est contrôlé par une sorte de censure (Le surmoi), une police de l’esprit qui se construit dans l’enfance à partir des interdits culturels. Les pulsions naturelles, les désirs sont passés au crible de la censure du Surmoi et peuvent ainsi être refoulées dans l’inconscient à l’insu de l’individu. Comment, dans ces conditions, reprocher à l’individu sa nature, quand celle-ci se trouve être contrôlée par une instance psychique dont l’individu n’a même pas conscience ? Pour aller plus loin, on peut s’interroger sur ces fameuses pulsions que Freud décrit : l’individu semble les subir plutôt que les maîtriser. Ainsi un homme est-il maître du désir qu’il ne peut refréner pour la femme d’un autre ou est-il l’esclave de processus chimique dont il ne sait rien ?
Je suis en partie responsable de ce que je suis
En se posant la question “suis je responsable de ce que je suis”, l’individu entame un processus de responsabilisation. En effet, en se demandant s’il l’est, et par extension, comment il pourrait faire pour le devenir. Je ne suis pas responsable de mon héritage mais je peux parfois le modifier (social, physique)
L’individu peut suivre les leçons données par Socrate qui disait “Connais-toi toi même”. Dès que l’individu a pris conscience des influences qui le dé-responsabilisent, il lui devient possible de changer en partie son identité. Prenons par exemple l’affaire de l’enfant prénommé Nutella. Imaginons que, dans cette affaire, la justice ait donné raison aux parents. L’enfant aurait parfaitement pu, à sa majorité, par le biais de démarches administratives, modifier son prénom, et ainsi, une part de son identité. Prendre l’initiative de modifier son apparence physique et donc une part de son identité, par exemple la couleur de cheveux, est maintenant monnaie courante.
Cependant, lorsqu’il s’agit de s’attaquer à des points plus fondamentaux, comme par exemple son aptitude à résoudre des problèmes, le travail seul ne peut suffire à faire d’un étudiant moyen un génie des mathématiques. De même, on ne peut choisir pas de devenir Mozart.
Je peux changer mon identité et me rendre responsable de celle-ci au travers de mes choix et actions (kylo ren). De même, en se détachant des diktats de la société, l’individu peut modifier son essence par ses actes. Prenons l’exemple de Kylo Ren, “grand méchant” de la postlogie de la saga Star Wars qui illustre parfaitement la maxime de Nietzsche : “Deviens qui tu es”. Ren choisit, dans le dernier volet, de se désolidariser du “côté obscur” qui était pourtant une part importante de lui-même depuis son plus jeune âge. Il prend ainsi la décision de renier son identité. Il choisit librement, dans un dernier acte, de sauver la dernière “Jedi” qui aurait dû être sa plus grande ennemie. Ainsi, alors que la Galaxie aurait dû se souvenir de lui comme de l’homme le plus cruel et instable de l’histoire, il devient celui qu’il est, pour parodier Nietzsche, en se sacrifiant pour sa rédemption. En prenant conscience du fait qu’il était influencé par la part obscure de lui même et par son environnement, il s’est finalement libéré.
Conclusion
En conclusion, si l’individu n’est pas responsable de ce qui est inné chez lui, il est en partie responsable de l’acquis. Aucun individu ne saurait rendre son essence intégralement indépendante de l’environnement qui l’entoure. Cependant, tout individu en prenant conscience des influences qui pèsent sur lui, peut tenter de devenir maître de ses actes et de son identité. Il peut alors tenter de devenir celui qu’il est, ou plutôt, celui qu’il souhaiterait être, car, étant sous influence permanente, comment savoir qui nous sommes vraiment ?
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