
Stéphane COURTOIS défend la thèse selon laquelle Staline, en matière de totalitarisme, n’a rien inventé. Tous les germes de la dictature, centralisme, parti unique, censure généralisée, police politique… étaient déjà en germes chez Lénine. Staline n’a fait que poursuivre l’œuvre de son maître. Khrouchtchev fut celui par qui le mythe d’un “Lénine défendable”, d’un “bon Lénine” naquit. Dans son célèbre rapport de 1956, il chargea Staline de tous les crimes, mais, soucieux de sauver le régime soviétique, il épargna son père fondateur : Vladimir Illitch Oullianov. Khrouchtchev repoussa ainsi chronologiquement le début de la Terreur à 1934, alors qu’elle avait commencé dès 1917. Il fallut attendre l’ouverture des archives soviétiques en 1991 pour reconstituer l’histoire, rendre à César ce qui appartint à César, refaire de Lénine le grand inventeur du totalitarisme. Pourtant, le mythe a la dent dure puisque les statues de Lénine pullulent encore largement sur les places russes (et en France comme à Montpellier). C’est normal. Si on coupe la tête du père fondateur, de la figure emblématique, que restera-t-il aux partis qui s’en réclament encore ?
Lénine, grand admirateur des Jacobins en général et de Robespierre en particulier, s’inspira du pire de la Révolution Française de 1789 : son modèle de gouvernement fut Le Comité de Salut Public, celui qui organisa, à partir de 1793, la Terreur : des milliers de gens envoyés à la guillotine, sans procès, des opposants, des “ennemis du peuple”, des “contre-révolutionnaire”, mais aussi des paysans, des ouvriers coupables seulement de neutralité et même des Jacobins, comme Danton ou Desmoulins.
J’ai toujours eu pour principe qu’un peuple qui s’élance vers la liberté doit être inexorable envers les conspirateurs ; qu’en pareil cas, la faiblesse est cruelle, l’indulgence est barbare. Robespierre.
Comme Robespierre, Lénine était avocat et se posa très tôt en défenseur des libertés (côté clair) et pensait que la fin, même cruelle, justifiait les moyens (côté obscur). Comme Robespierre, il fut marqué par un traumatisme de jeunesse (la mort de son grand-frère). En lieu et place du Comité de Salut Public, sorte d’avant garde éclairée de la bourgeoise, Lénine imposa un Politburo, avant-garde éclairée du Prolétariat, tel que théorisé par Marx. Le Jacobinisme centralisé de Robespierre fut transposé en centralisme intégral dirigé par le Politburo. La vérité de Rousseau fit place à la science de Marx pour justifier l’élimination de tous les opposants et la répression sanglante à grande échelle.
Mais, comme le dit Stéphane COURTOIS, ” le Marxisme seul ne suffit pas à expliquer son itinéraire. Le ressort psychologique est déterminant. Beaucoup plus profond, il est fait de violence, de ressentiment, de haine, qui, dans le cas de Lénine, se déverseront vingt ans plus tard de façon extraordinairement violente, spécialement contre les Romanov, qu’il donnera personnellement l’ordre d’éliminer (comme Robespierre et son valet (Saint-Just) eurent la tête de Louis XVI et de Marie-Antoinette)
J’ai lu pour vous Lénine, l’inventeur du totalitarisme de Stéphane COURTOIS
Très tôt, Lénine a tenté d’assoir ses théories radicales sur des références incontestables : étant inaccessibles en raison de la censure tsariste, il trouva ses premières inspirations chez les auteurs Russes. D’abord, Tchernychevski, celui qui fit pénétrer en Russie les idées communistes ; celui qui voyait dans la Révolution le seul moyen de renverser l’ordre existant pour reconstruire une société idéale sur des bases saines débarrassées de tous les oppresseurs. Lénine en fit son père spirituel à tel point qu’il reprendra, pour son propre ouvrage, le titre du roman de 1984 de Tchernychevski : Que faire ? Ensuite, Netchaïev qui donna les recettes du parfait révolutionnaire, totalement investit dans la cause, prêt au sacrifice, mais également prêt à sacrifier les autres… Lénine passa à la vitesse supérieure avec Plekhanov qui lui fit découvrir l’essence du communisme scientifique : Marx et Engels. Avec les deux auteurs de référence, Lénine découvrit la théorie de La lutte des classes, l’exploitation de l’homme par l’homme, la paupérisation fatale du petit-peuple, la fin inéluctable du capitalisme, le soulèvement non-moins inéluctable du prolétariat qui soudain prend conscience de sa force de classe et enfin l’avènement du communisme, comme fin de l’histoire. Pourtant en cette fin de XIXème siècle, plusieurs prédictions de Marx ne s’étaient pas réalisées. Eduard BERNSTEIN compagnon de Engels, montra en effet que loin de se soulever, le prolétariat occidental, voyant sa condition s’améliorer, aspira plutôt à des réformes sociales, inscrites au sein de régimes qui devenaient de plus en plus démocratiques.
Lénine commença sa carrière en Suisse vers 1900 où il chercha à s’imposer parmi la dizaine d’expatriés, parmi lesquels figurait la figure tutélaire : Plekhanov qui n’avait aucune envie de partager la gâteau. Faut-il voir dans ce premier revers le point de départ de son délire psychotique, de sa volonté de puissance et de son désir de créer un espace pour donner libre-court à sa violence ? Sans doute. Car pour s’imposer, il choisit la stratégie de la surenchère permanente : tout individu qui se situait à sa droite, même très légèrement, même partisan de Marx, même communiste, devint suspect, déviationniste, voire contre-révolutionnaire. Il imita Robespierre qui, avant lui, avait envoyé ses amis de longue date à la guillotine en les accusant des mêmes crimes.
Naissance du parti bolchévique
Pour assoir son leadership, Lénine plaida pour la création d’un groupuscule de professionnels de la révolution, un assemblage d’individus voués corps et biens au projet et totalement soumis à sa personne. Figureront très tôt dans cet ensemble, Staline, Trotski, Dzerjinski, le futur chef de la Tchéka. Car pour Lénine, on ne pouvait se fier aux masses :
Il ne faut pas se laisser guider par l’humeur des masses : elle est changeante et impossible à jauger avec exactitude. Lénine.
La grande guerre fut pour Lénine une grande opportunité. En effet, les ferments révolutionnaires de 1905 étaient morts nés, son parti bolchévique restait balbutiant et la situation, comble du malheur pour un communiste, s’améliorait pour le petit-peuple dans un contexte de plus en plus capitaliste… Aussi, c’est dans les revers militaires et le soulèvement des régiments de Saint-Pétersbourg qu’il faut trouver l’origine de l’effondrement du régime tsariste de 1917 plutôt que dans le soulèvement du prolétariat. La mythe a été réécrit après coup par les vainqueurs.
A peine installé au pouvoir, Lénine mit en place tous les attributs qui caractérisent (selon Hannah Arendt) un régime totalitaire :
Le peuple n’a pas besoin de liberté, car la liberté est une des formes de la dictature bourgeoise… Lénine.
parti unique, police politique (Tchéka) de Dzerjinski, suspicion généralisée, liquidation des opposants, programme d’extermination de la classe bourgeoise en créant volontairement les conditions de la guerre civile, reproduisant pour ce dernier point les colonnes infernales qui sévirent en Vendée.
Il n’y a rien de plus efficace pour faire taire quelqu’un qu’une balle dans la tête. Dzerjinski
En synthèse, le livre de Stéphane COURTOIS, extrêmement bien documentés, doit être lu pour comprendre l’histoire du communisme russe en général et ses origines totalitaires en particulier.
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